La Cadence Rompue
La progression harmonique de surprise et de suspense
Définition et Progression
La cadence rompue (ou deceptive cadence en anglais) se produit lorsque l'auditeur s'attend à une cadence authentique V-I mais entend une substitution à la place. Le terme "cadence rompue" est l'équivalent français du terme anglais "deceptive cadence", et ils décrivent le même phénomène harmonique.
La substitution la plus courante est la progression de l'accord de dominante (V ou V7) vers la triade du sixième degré (vi ou VI). Dans ce cas, l'accord de tonique attendu (I) ne vient pas ; vi ou IV apparaissent à la place, créant une surprise harmonique.
Formation et Structure
La cadence rompue substitue vi (ou VI) à l'accord de tonique attendu, créant une surprise harmonique.
Cette structure peut également prendre la forme V-IV ou d'autres substitutions inattendues. Schoenberg mentionne également V-IV comme une forme originale de substitution.
Exemples de Cadences Rompues
Cadence Rompue - V → vi en Do majeur
Progression V → vi (G → Am) au lieu de V → I (G → C)
Analyse de Schoenberg
Arnold Schoenberg propose une perspective fondamentale sur la cadence rompue :
- Formule de clôture incomplète : Schoenberg la décrit comme une "formule de clôture incomplète" qui "s'arrête à mi-parcours"
- Super forte : Il la qualifie de "super forte" ou "extrêmement forte", soulignant qu'elle permet de retarder la résolution et d'allonger la cadence
- Changement de direction : Elle crée "un virage serré dans l'autre direction" qui "rétablissent le cours moyen" de la musique
- Préparation renforcée : Elle permet de "préparer à nouveau la clôture réelle et, par la répétition, de finir avec une puissance accrue"
- Raison suffisante : Elle nécessite une "raison suffisante pour son action 'super forte'"
Fonction et Effet Musical
La cadence rompue produit des effets musicaux spécifiques :
- Grande instabilité : Elle produit une sensation de grande instabilité, d'inachèvement ou de "suspense"
- Jamais finale : Elle n'est jamais utilisée pour terminer une œuvre tonale car elle ne procure pas de sentiment de repos ou de finalité
- Incertitude : Elle crée une incertitude qui ne se dissipe qu'avec le retour de la stabilité tonale, généralement via une cadence authentique ultérieure
- Prolongation : Elle est fréquemment utilisée pour prolonger une phrase musicale ou pour introduire une digression, retardant ainsi la résolution finale
- Effet mélodique : Son effet est le plus puissant si la note mélodique à la soprano se dirige de la seconde (2̂) vers la tonique (1̂) ou de la sensible (7̂) vers la tonique (1̂)
Contexte Historique
L'historique de la cadence rompue remonte aux théoriciens classiques :
- Rameau : Utilise l'expression "cadence rompue" pour décrire des progressions spécifiques qui dévient vers un accord autre que la tonique, notamment V-vi
- Évolution théorique : Le concept s'est développé dans la théorie harmonique classique et romantique
- Usage historique : Elle était utilisée pour créer des surprises harmoniques et prolonger la tension musicale
- Développement moderne : Le concept s'est étendu au jazz et à la musique contemporaine
Exemples concrets de morceaux
Musique classique
Divers compositeursDans la musique classique, la cadence rompue crée des surprises harmoniques qui prolongent la tension musicale et retardent la résolution finale.
Jazz
Tradition jazzDans le jazz, la cadence rompue permet des réharmonisations créatives et offre des opportunités d'improvisation avec des colorations harmoniques inattendues.
Musique populaire
Divers artistesDans la musique populaire, la cadence rompue crée des moments dramatiques inattendus qui maintiennent l'intérêt de l'auditeur et ajoutent de la profondeur émotionnelle.
Variations et Extensions
- V-IV : Progression alternative mentionnée par Schoenberg
- V7-vi : Avec accord de septième de dominante
- V-VI : En mode mineur (substitution majeure)
- III-IV : Progression "super forte" selon Schoenberg
- Avec extensions : Utilisation d'accords enrichis
- Mini V-I-M : Dans le jazz manouche